Les Delphinus stars du Phare Ouest

Moana Gascogne, saison 2, épisode 6

Quels que puissent être les bienfaits du régime local de Nord-Ouest, nous en guettons une petite pause afin de pouvoir continuer notre prospection dans cette extrémité du Golfe de Gascogne.
La pointe de Penmarc’h, qui était commode pour nous protéger, n’est en effet pas très pratique à passer avec du vent ou de la houle de face, et au-delà de ça il serait dommage de s’y trouver avec des conditions météo ne permettant pas une efficacité minimale de détection visuelle.

Un créneau correct finit par se profiler, et nous quittons Loctudy pour nous diriger vers la Baie d’Audierne, dernière « région » de notre Golfe de Gascogne avant que ne commence, derrière la chaussée de Sein, la mer d’Iroise.

Cette zone, quoique pouvant paraître un peu excentrée par rapport au reste de notre zone d’intérêt, n’est pas pour autant anecdotique puisque même en été de nombreux dauphins s’échouent sur les plages de la Baie d’Audierne, souvent victimes de captures accidentelles dans des engins de pêche.
D’un point de vue bassement physique, étant toute proche de l’extrémité du Finistère, c’est une zone où différentes masses d’eau se mélangent, avec des profondeurs relativement importantes à proximité de la côte (un véritable mini-talus amène directement des profondeurs de 70 mètres juste sous la pointe de Penmarc’h, et un peu plus au large l’isobathe 100 m est à moins de 8 milles nautiques du rivage, aisément record de proximité pour tout le Nord du Golfe de Gascogne… détrôné seulement lorsqu’on arrive au Gouf de Capbreton, à l’extrême Sud du Golfe !)… beaucoup de raisons de rendre cette zone intéressante, donc !

Alors que nous longeons le Sud de la péninsule, une première détection est rapidement réalisée, et un petit groupe de 6 Dauphins communs apparemment un petit peu désœuvrés semblera prendre plaisir à nous escorter pendant dix minutes.

Sauts tendus d’un petit sous-groupe de Delphinus en déplacement rapide

Continuant notre route, il ne se passera pas longtemps avant une deuxième observation de Delphinus, puis une troisième, bientôt une quatrième…
Nous passerons un peu plus de temps à observer un groupe particulièrement grand, avec plusieurs centaines d’individus répartis en six sous-groupes aux activités assez variées : trois des sous-groupes sont en train de se nourrir sur des boules de petits poissons épipélagiques, plus ou moins stationnaires. Un autre sous-groupe, plus calme, semble se reposer tandis qu’un cinquième sous-groupe de plusieurs dizaines d’individus saute et marsouine à grande vitesse, paraissant poursuivre des proies assez mobiles.

Animaux turbulents assez regroupés, sauts désordonnés asynchrones, nage rapide en sub-surface, oiseaux : scène typique de prédation

Nous progressons le long de ce chapelet de sous-groupes, les observant aux jumelles et téléobjectif ; certains animaux changent d’activité en nous apercevant, se rapprochent et viennent rendre visite à l’étrave d’Anacaona.
Nous les comptons avec un soin particulier et consignons leurs allers et venues dans PADOC : le temps passé à l’étrave par les animaux, et leur nombre, est un indicateur comportemental intéressant pour évaluer « l’état d’esprit » des animaux et leur disponibilité du point de vue de leur budget-temps et de leurs besoins vitaux.
Ici, l’observation d’animaux se détournant spontanément de leur activité de nourrissage pour venir passer plusieurs minutes à l’étrave tendrait à indiquer qu’ils « ne sont pas en retard » sur leur alimentation, tant mieux pour eux !

Quelle ambiance à l’étrave d’Anacaona ! Viennent-ils de se raconter une blague potache ? Peut-être, mais il est plutôt plus probable que la bouche ouverte soit une posture « intimidante » à destination de son voisin

Les dauphins en profitent pour utiliser notre étrave comme support de socialisation, et nous constatons plusieurs comportements d’accouplement, tant mieux pour eux aussi !

Posture d’accouplement entre deux eaux : le mâle est traditionnellement en dessous chez les dauphins

Plusieurs nourrissons sont d’ailleurs présents dans les sous-groupes, ce qui n’est pas très surprenant : avec une gestation d’à peu près un an, l’été correspond en même temps à la période de reproduction et à la période de mise-bas.

Âgé de quelques jours mais déjà prêt à sauter avec sa mère… et à la suivre en sonde !

Coïncidence intéressante, plus ces observations à l’étrave progressent, et plus nous les voyons bien…
Simple vue de l’esprit ? Eh non, plus nous nous écartons de la côte et plus l’eau est en effet translucide. La région étant une zone mouvementée en termes de masses d’eau, nous quittons progressivement les eaux turbides vertes et productives du bord de côte pour nous enfoncer dans des eaux plus claires, plus bleues, arrivant du large (nous avons l’habitude de les consigner à intervalles réguliers dans nos logs de prospection sous forme de valeurs colorimétriques approximatives allant de « Bleu 5 », très bleu, à « Bleu 1 », très vert, ou même « Bleu 0 », vert opaque ou limoneux).
Sans surprise, ce changement de masse d’eau s’accompagne également d’une brusque variation de température de l’eau, plus de 2°C ! ..Et hasard ou non, les puffins cendrés redeviennent nombreux.

Dans une eau commençant à tirer sur le bleu, plusieurs détachements de Delphinus se succèdent, nous accompagnent, nous suivent… durée totale d’étrave pendant l’observation : 56 minutes 30, large record de l’été !

Le passage de la pointe de Penmarc’h se fait avec une houle un peu dressée légèrement désagréable, mais cela ne durera heureusement pas. Pas perturbés par la mer, les Delphinus s’ébattent sagement sous le phare d’Eckmühl et restent très présents dans le Sud de la Baie d’Audierne, puis leur nombre semble diminuer progressivement au Nord de la baie.

À l’extrême Ouest de la presqu’île bigoudène, le grand phare d’Eckmühl regarde se croiser pêcheurs et Delphinus

Nous n’y rencontrerons plus de groupe aussi important que celui observé au Sud de la péninsule, et les animaux sont davantage dispersés en petites unités. L’occasion de continuer à observer les différentes facettes comportementales locales des Dauphins communs, et en particulier leurs modes de prédation variés : depuis la poursuite individuelle de poissons mouchant à la surface jusqu’à la prédation mésopélagique à l’abri des regards, en passant par différentes prédations sub-surfaces en groupe… avec à chaque fois des éléments « visuels » caractéristiques, mais aussi des signatures acoustiques variables à l’hydrophone.

Sauve-qui-peut pour les sardines : un Delphinus isolé accélère brusquement pour foncer dans un petit banc de poissons épipélagiques

Approchant finalement du 48e parallèle et de la fin du Golfe, nous ne cèderons pas à la tentation de la pointe du Raz et nous nous dirigerons sous une pluie fine vers Audierne pour y faire escale.

Après quelques centaines de milles pour remonter jusqu’ici, mieux vaut ne pas y arriver à l’aveuglette : le petit port est situé au bout d’un cours d’eau assez peu large qu’il faut suivre avec concentration pour ne pas gratter les bancs de sable. Voilà qui nous donne un petit peu l’impression, comme d’autres l’ont fait pour l’Amazone ou le Nil, de remonter enfin jusqu’à la source du Golfe de Gascogne.

Anacaona remontant précautionneusement le fleuve menant à Audierne

Bon, tâche plus modeste que celle des illustres explorateurs, certes… mais, tout de même, c’est déjà ça !

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