Moana Gascogne, saison 2, épisode 7
Après quelques milles supplémentaires parcourus en Bretagne et l’été avançant, nous choisissons de nous redécaler vers le Sud en tirant profit d’une fenêtre de météo calme, une fois n’est pas coutume.
Encore assez proches de la côte, nous tombons à nouveau sur un petit groupe de Delphinus, puis sur une paire de Marsouins communs assez discrète… Nous n’avons ensuite même pas encore passé la dernière cardinale que nous détectons à nouveau des Dauphins communs, mais un groupe d’une soixantaine d’individus cette fois-ci ; nous consignons leurs comportements mais ne nous arrêterons pas à chaque observation, afin de ne pas « dépenser » trop de beau temps en zone côtière.

Un quart d’heure après avoir quitté nos derniers Delphinus, à -30°, environ 1200 m, voilà cette fois-ci un dos ! Nous ne sommes d’ailleurs pas très loin de l’emplacement de notre précédente observation de Rorqual à museau pointu, et voilà qui tendrait à confirmer que leur présence locale n’est pas anecdotique.

Sortant tout de même plus de notre ordinaire que les Dauphins communs, nous prenons le temps de l’observer et de chronométrer ses comportements sur PADOC. Bien que ses phases de surface soient assez longues, ses sondes ne durent que quelques minutes et sont donc nettement plus courtes que celles de notre rorqual précédent. Comme il paraît tout de même être lui aussi en phase de prédation, cela signe probablement une différence dans son choix de proies, ou dans la localisation de celles-ci dans la colonne d’eau.

Malgré une eau assez turbide, nous nous préparons à lancer une mission drone afin de peut-être en apprendre un peu plus sur cet animal et son comportement.
Il est actuellement en sonde, mais deux petits sous-groupes d’ailerons respirent calmement à 200 mètres d’Anacaona, comme pour facétieusement nous déconcentrer. Voyons un peu cela, encore quelques Delphinus en maraude, vraisemblablement…? Ou pas : ce sont en fait à nouveau des marsouins ! Et un assez joli groupe, en plus : cinq ou six individus, au moins.

…Et ce qui devait arriver arriva : nous voilà déconcentrés.
Nous continuons à chronométrer une dernière phase de surface de notre rorqual, et nous mettons le drone en l’air. Vers où ? Évidemment, le rorqual est maintenant dans notre Sud-Ouest, et nos marsouins côté Nord-Est. Il n’y a pas beaucoup de temps à perdre au risque de rater les deux options ; trois secondes de réflexion, et c’est parti vers les marsouins. Après tout, un groupe de cinq ou six par belle météo, ce n’est pas tous les jours… Adieu petit rorqual.
« Retrouver les marsouins », c’est vite dit mais même pas temps calme, pour trouver une poignée d’animaux d’1 mètre 60 dans la vaste mer, c’est moins vite fait.
Nous finirons quand même par y arriver… et nous serons assez surpris de ce qui se déroule sous nos yeux ! Chose assez atypique pour cette espèce, nos marsouins enchaînent les temps calmes et les temps… fort turbulents. Peut-être pas une simple coïncidence, « l’assez joli groupe » est en fait un vrai gros groupe, puisqu’il est composé a minima de deux sous-groupes de 2 individus, d’un sous-groupe de 4 animaux et d’un sous-groupe de 7 individus : record battu ! Si Gilles, qui avait observé plusieurs gros groupes de marsouins l’été dernier en Manche, était encore à bord, sans doute nous dirait-il « Ah ben voilà ! ».

Les sous-groupes semblent assez fluides, les animaux s’échangent, font des zigs et des zags sous l’eau et ne sont pas faciles à compter avec précision.
À plusieurs reprises des animaux regroupés se lanceront dans des sprints assez explosifs, avec gerbes d’écume type « queues de coq » et -évènement rare pour des marsouins- presque en marsouinant (comportement qui porte d’habitude très mal son nom puisque quasi-exclusivement effectué par des dauphins, et qui désigne des animaux se déplaçant en surface à grande vitesse dans une succession de sauts tendus entièrement sortis de l’eau).

Probablement plutôt de l’ordre de la socialisation, ce comportement très inhabituel pourrait-il également contenir une valence de prédation ? Pas impossible… l’analyse fine des images cet hiver pourra peut-être nous fournir quelques clés de compréhension supplémentaires !
Attirés par l’agitation, quelques pêcheurs plaisanciers se rapprocheront ; hasard ou non, les animaux se feront plus discrets, et nous quitterons la zone.
Avant que l’eau ne devienne moins turbide et moins fraîche, nous réobserverons plusieurs groupes de Delphinus, tantôt en voyage, tantôt en repos, tantôt en chasse. Nous chronométrerons deux sondes de nouveaux-nés, déjà efficaces en apnée pour suivre leur mère.

Puis les observations s’espaceront un petit peu. Les degrés de Nord et d’Ouest si difficilement conquis s’écoulent maintenant monotonement.
Les fous de Bassan cèdent peu à peu leur place aux puffins, surtout cendrés mais pas que : en plus des classiques puffins des Anglais et puffins des Baléares, nous observerons plusieurs puffins « sudistes » (puffins majeurs et puffins fuligineux, se reproduisant dans l’hémisphère Sud et venant hiverner chez nous pendant l’été boréal). La majorité des dauphins semble à présent avoir été remplacée par des thons nombreux à chasser en surface ; encore quelques groupes tout de même à hauteur de la Vendée, dont des Tursiops décidément relativement nombreux.

Du soleil, des poissons-lunes, des thons, quelques fulmars, des gélatineux, des alevins.

Des méduses, des océanites, encore des thons, encore des gélatineux.
Le plateau gascon central estival est aux cétologues ce que Waterloo était à Napoléon. Une décidément bien morne plaine. « Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine », continuait Victor Hugo ; notre onde à nous ne bout pas, pour l’instant elle est encore calme et c’est au moins notre chance : entre la veille acoustique et les bonnes conditions de détectabilité visuelle, nous sommes sûrs de ne quasi rien rater, et la prospection locale quoique pauvre en cétacés est au moins de bonne qualité techniquement parlant.

Nous serons malheureusement rattrapés par un coup de vent de Nord-Ouest (ça faisait longtemps, non ?), l’onde se met à bouillonner et nous nous abritons. Côté charentais dans un premier temps, puis girondin : 78 observations plus tard (honorable !), nous revoilà au Verdon-sur-Mer, d’où nous étions partis en juillet. Nous guettons un retour d’un beau créneau de temps calme avant la fin de notre période d’embarquement, mais il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent de ce côté-là, et la fin de prospection se profile.

À terre, aucun plumage multicolore ne s’active devant les terriers, tous les guêpiers sont partis. Depuis fin juillet, nous dit une dame du coin. Mais ils seront de retour dès le début du printemps, nous précise-t-elle gentiment. Tout va bien, alors.
En ce qui nous concerne nous nous préparons à débarquer mais nous serons de retour au Verdon avant les guêpiers, peut-être cet automne s’il y a une très belle fenêtre, ou bien de toutes façons début 2026 pour notre prospection hivernale.
D’ici là, un peu de repos, et pas mal de données à exploiter !